Les élections présidentielles en Egypte, c’est génial. Avec près d’un millier et demi de morts et près de quarante mille arrestations politiques ces dix derniers mois, selon des chiffres (peut-être un peu gonflés mais parlants néanmoins) sortis hier, on pouvait se sentir l’esprit intranquille, un peu barbouillé – mais pas de panique, le maréchal Sissi est en train de se faire élire ce 26 et 27 mai, et dans la joie et la bonne humeur.
Bien sûr les esprits chagrins que sont les Frères musulmans, et les groupes opposés tant aux militaires qu’aux islamistes, boycottent; bien sûr d’autres esprits mélancoliques font remarquer que les jeunes se sont bien peu déplacés aux urnes, mais qu’importe.
Qu’importe si les réseaux sociaux abondent de photos de files d’attente devant les bureaux de vote où ce sont surtout des papis et papas qui font la queue. Les jeunes, eux, ont cliqué aujourd’hui par milliers sur un événement facebook baptisé « émigration massive des jeunes d’Egypte« . La bannière nargue: « salut pays de vieux », avec un avion qui laisse derrière lui les cris de « Sissi est mon président » « vive Morsi » et autres « on va vous faire exploser ».
Qu’importe si dans les quartiers plutôt favorables aux Frères comme Kerdasa par exemple, ou dans les quartiers pauvres qui ne voient pas comment leur situation pourrait s’améliorer même avec un homme providentiel et le retour du tourisme, on fait moins la fête.
Qu’importe puisqu’on peut crier vive l’Egypte comme si on venait de gagner la coupe du monde, alors que presque la moitié de la population vit en-dessous ou juste au niveau du seuil de pauvreté, qu’il y a pénurie d’énergie, de blé, qu’on dépend de l’aide du Golfe, qu’on a quasiment 15% de chômage et bien plus chez les jeunes, que les médecins et les professeurs sont payés des clopinettes et que seuls les riches ont accès à des soins ou éducation convenables, que la presse, censurée ou pas, débite une pensée unique.
Qu’importe puisque Sissi va sauver l’Egypte, et le monde par la même occasion. Se souvenir de son discours où une phrase obscure avait fait faire des gorges chaudes : « L’Egypte est la mère du monde [expression courante en Egypte], elle sera comme le monde. » Il va certainement résoudre les problèmes économiques et faire cesser les attentats en un claquement de doigts.
photo de Marwa Nasser à Minia dans le sud de l’Egypte
Les Egyptiens ont le droit de dessiner des petits cœurs ou d’écrire « je t’aime » à côté du nom de leur candidat préféré sans invalider le bulletin de vote. L’important c’est de ne pas déborder dans la case d’à côté, explique le sécrétaire général de la Commission électorale, interrogé au téléphone dans un talk-show télévisé (extrait ci-dessous).
On passe des chansons joyeuses dans la rue. Légèrement en faveur de l’un des deux candidats, mais qu’importe, l’essentiel c’est la bonne humeur. « Boshret Khir » (« un bon présage ») est une chanson émiratie pour la campagne de Sissi (merci le Golfe encore une fois).
De petits plaisantins en ont fait une version « miaou ».
On danse devant les bureaux de vote.
Les femmes seulement, puisque c’est une affaire de femmes de danser.
La police qui aime le peuple a annoncé qu’elle allait distribuer des fauteuils roulants pour que tout le monde puisse se déplacer jusqu’au bureau de vote.
On a rarement vu – et entendu- autant d’hélicoptères ronronner au-dessus du Caire. Pas de pénurie énergétique de ce côté-là.
Les Emirats arabes unis, qui aiment décidément soutenir les efforts démocratiques égyptiens, ont envoyé des véhicules militaires pour aider le pays à sécuriser le scrutin.
Reste à savoir combien de temps l’homme providentiel restera considéré ainsi. Ce fauteuil de président ne sera sans doute pas une sinécure.
De leur côté les Frères musulmans (enfin leur bras politique, le parti de la Liberté et de la Justice, qui est techniquement mort, d’ailleurs) n’ont rien trouvé de mieux à faire que de sortir un camembert qui montre combien les Coptes (chrétiens orthodoxes d’Egypte) sont méchants, puisque, ne constituant qu’environ (les chiffres sont contestés) 10% de la population, ils composent 48% du total des électeurs qui sont allés voter. Et la plupart des votants ont choisi Sissi.
Et pour ceux qui y sont imperméables: ce post contient une forte dose d’ironie. Merci.