« C’est un coup d’Etat militaire », s’indignent l’ex-président issu des Frères musulmans et ses partisans. « Ce n’est que la suite de la révolution et l’application de la volonté du peuple, pour protéger l’Egypte », affirment ses opposants. Ils se réjouissent cette nuit de la chute de Mohamed Morsi en descendant par millions dans la rue.
« Certains de nos compatriotes ont une mémoire de poisson rouge, ils ne se souviennent pas de ce qu’a fait le Conseil militaire pendant la période de transition? » se désole l’un des manifestants anti-Morsi sur la place Tahrir. « Ils ont réprimé toutes les manifestations de manière brutale, fait des morts à chaque fois, humilié les manifestants... »
« Mais pas du tout, l’armée protège l’Egypte et le peuple lui fait confiance, » rétorque un autre, qui ajoute : « le Conseil militaire était dirigé par un géronte de quatre-vingts ans, l’actuel ministre de la Défense, Abdel Fattah al-Sisi [qui a prononcé, après avoir délibéré pendant des heures ce mercredi avec l'opposition et les institutions religieuses du pays] a cinquante ans, c’est une génération différente. De toute façon, il a donné le poste de président à un homme neutre, le président de la Cour Constitutionnelle, pour une période de transition. »
Ce jeudi, ce juge, Adly Mansour, sera chargé de commencer à former un gouvernement de coalition nationale. L’opposition à Morsi s’étend en fait des salafistes habiles politiquement, qui se sont désolidarisés à temps du navire en détresse des Frères, aux socialistes nasséristes. Les partis choisiront des candidats au gouvernement.
La Constitution votée il y a six mois est abrogée. Elle avait beaucoup contrarié l’opposition, qui y voyait un document bâclé et qui ne revenait pas sur les privilèges de l’armée, et qui écoutait trop les salafistes.
Chasse aux Frères
Dans la nuit, les partisans de Morsi ont commencé à quitter le campement géant établi vendredi dernier dans une ville en périphérie du Caire- pour être fouillés par des soldats qui souhaitent leur retirer toute arme avant de leur permettre de se mêler au reste de la population. Traités comme des terroristes, alors que des tireurs inconnus ont fait plusieurs morts dans leurs rangs – raison qui leur a fait lever le camp.
D’après le journal d’Etat Al Ahram, plus de 300 mandats d’arrêts ont été lancés contre des Frères musulmans. Le président lui-même a été placé en résidence surveillée. Quant au chef du parti Justice et Liberté, bras politique des Frères (Sayed el Katatni), il aurait déjà été arrêté.
Les chaînes de télévision sympathisantes des Frères ont été arrêtées, comme Misr25 ou AlJazeera Mubashir Masr.
Certains trouvent la répression immédiate contre les Frères un peu exagérée et effrayante: « Aujourd’hui c’est eux, demain ce sera nous », dit sur Tahrir ce manifestant sans parti mais anti-Moubarak, anti-régime militaire et anti-islamistes, qui a participé à la révolution de 2011 dès les premiers jours. D’autres se sentent immensément soulagés de ne plus avoir à craindre « ce groupe terroriste, dont les partisans transportent les drapeaux de l’Arabie saoudite (« il n’y a de Dieu que Dieu »), voire les drapeaux noirs qui ressemblent à celui d’Al-Qaeda, et qui sont de toute façon armés et ont déclaré, par la voix de Beltagy, une figure importante des Frères mais coutumier des gaffes, être prêts à verser leur sang. » ‘L’armée doit savoir des choses que nous ne savons pas », renchérit un autre, « peut-être les rumeurs sur les tentatives de vente du Canal de Suez et du Sinaï au Qatar étaient-elles vraies. Ils ne s’intéressaient pas au pays pour lui-même, pas vraiment non plus à notre héritage pharaonique, ils n’avaient qu’un califat islamique international en tête, et l’Egypte comme nation n’y a pas de valeur particulière. »
Alors que les opposants à Morsi exultaient sur la place Tahrir du Caire, ses partisans ont attaqué des bâtiments de la sécurité dans le nord du pays. Sept d’entre eux ont péri dans des heurts avec les forces de l’ordre à Marsa Matrouh et Alexandrie, sur la côte méditerranéenne. Des violences ont aussi éclaté dans d’autres villes du pays. Au total, au moins 14 personnes ont péri.
Le président n’a pas dit qu’il acceptait sa défaite, aussi beaucoup d’Égyptiens redoutent des violences dans les jours à venir. L’armée n’est peut-être pas le gardien angélique du peuple auquel beaucoup veulent croire – l’Egypte est, cette nuit, encore en suspens.
Sophie Anmuth ( au Caire)