Ce dimanche 30 juin marque le premier anniversaire de l’élection de Mohamed Morsi, le président égyptien issu de l’organisation des Frères musulmans. Depuis plus d’un mois, l’opposition a décidé de faire de cette date un jour de manifestations pour réclamer sa démission. Deux ans et demi après la révolution, l’Egypte apparaît complètement polarisée et à l’aube d’ une nouvelle explosion de violence. Les Frères musulmans et leurs soutiens islamistes défendent la légitimité de celui qu’ils considèrent comme le premier président élu librement de l’histoire de l’Egypte, tandis que leurs opposants, qui forment une alliance de circonstances entre tendances politiques normalement antagonistes, réclament des élections anticipées après le départ d’un président qu’ils jugent dangereux pour le pays.
Qui veut la démission de Morsi?
Tamarod (Rébellion), la campagne de pétition qui a annoncé le 29 juin avoir recueilli vingt-deux millions de signatures, est le groupe qui a pensé l’après-30 juin: Démission de Morsi, pouvoir temporairement remis au président de la Cour suprême (qu’on peut pourtant soupçonner, comme membre du judiciaire, de sympathies pour l’ancien régime) et élection présidentielle anticipée. Selon la Constitution, ce serait le président de la Choura (le Sénat) qui devrait hériter du poste de président pour une période de transition.
Opposants au président islamiste Mohamed Morsi lors des grands rassemblements du 30 juin 2013, Caire. REUTERS/Mohamed Abd El Ghany
Les principaux partis d’opposition ont emboîté le pas aux activistes, comme la coalition des opposants les plus proéminents — Amr Moussa, malheureux candidat à l’élection présidentielle et ancien secrétaire général de la ligue arabe, le nassériste Hamdeen Sabahi et l’ancien directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique Mohamed El-Baradei.
De son côté, le parti salafiste al-Nour ne soutient pas le gouvernement ni l’opposition qui appelle à sa démission. Les salafistes pensent seulement à maximiser leurs gains électoraux à venir…
En face, les Frères musulmans ne cessent de se présenter comme les seuls héritiers de la révolution.
Il est vrai que certains réclament ouvertement l’intervention de l’armée. Oubliées, les répressions meurtrières des manifestations sous le règne du Conseil suprême des forces armées ( CSFA). A l’instar des partisans de Mohamed Morsi, ils n’ont aucune confiance en Mohamed el-Baradei, le porte-parole du Front du salut national (FSN), qu’ils accusent d’être un agent des Etats-Unis (croyance qui remonte à la propagande de l’époque Moubarak, quand Baradei suscitait beaucoup d’engouement chez les jeunes).
A côté de ces partisans d’un retour de l’armée , des révolutionnaires de la première heure. Certains ont voté pour Morsi au second tour de l’élection présidentielle afin de barrer la route au candidat de l’ancien régime, Ahmed Chafiq. D’autres avaient préféré boycotter, estimant que les élections étaient truquées et illégitimes car se déroulant sous un régime militaire.
Enfin, parmi les révolutionnaires et opposants aux Frères musulmans, il y a ceux qui ne savent pas s’ils devraient ou non participer. Certes Morsi ne leur paraît pas à la hauteur de la tâche, mais il a été élu. Par ailleurs, l’opposition n’a pas vraiment fait preuve d’une immense maturité politique: un autre président ferait-il mieux?
Pour les opposants, une année de règne des Frères musulmans suffit.
Que reprochent-ils tous au « premier président démocratiquement élu de l’histoire de l’Égypte »?
Son incompétence. Il n’a rien fait pour endiguer les tensions communautaires, il n’a pas réussi à redresser l’économie.
Les Égyptiens de classes moyennes et aisées craignent que l’idéologie des Frères menace leur mode de vie. Ils subissent déjà de plein fouet la crise économique, qu’ils imputent pour moitié à la révolution et pour moitié aux Frères, à leur incompétence et à leur méfiance vis-à-vis de l’Occident.
Son double discours: il prétend tendre la main à l’opposition alors qu’il l’insulte.
A cela s’ajoute l’autoritarisme dont le régime islamiste a fait preuve.
Enfin, pour beaucoup, Morsi n’est qu’une marionnette. Les décisions émanent de l’organisation des Frères musulmans et du guide suprême Mohamed Badie. Beaucoup de manifestants anti-Morsi transportent des moutons en peluche parce que les Égyptiens ont de l’humour: ils prient le petit mouton Morsi de revenir à l’étable et de laisser les grandes personnes gouverner. Dans le domaine des accusations complotistes, on dira aussi que sur la place Tahrir, un grand panneau, dont le texte est en anglais, affirme que « Obama soutient le terrorisme », autrement dit que les Etats-Unis sont bien trop conciliants avec les Frères musulmans – et les manifestants d’expliquer « Morsi est à la botte des Etats-Unis ».
La démission de Morsi, même à ceux qui la souhaitent, paraît improbable – du moins rapidement. Le discours du 26 juin, où il n’a en substance rien dit, ne visait pas à empêcher les manifestations, mais à faire acte de présence auprès de ses soutiens, et à réserver d’éventuelles concessions après un ou plusieurs jours de tumulte.
A moins que l’armée ne s’en mêle si la violence des affrontements entre les deux côtés l’exige. Mais dans ce cas de figure, les anti-Morsi sont conscients du fait qu’espérer voir l’armée se retirer rapidement relève d’un vœu pieux. Elle pourrait décider de ne pas organiser d’élections pendant plusieurs années, le temps de refaire une constitution…
Violence prévue
Fin 2012, pro et anti-Morsi s’étaient affrontés aux abords du palais présidentiel, au Caire. Une dizaine de manifestants avaient été tués dans les affrontements. Le ministère de la santé avait indiqué que près de 450 personnes avaient été blessées. Les manifestants protestaient contre le renforcement récent des pouvoirs du chef de l’Etat. Ces derniers jours, plusieurs bureaux du parti Liberté et Justice, vitrine politique des Frères musulmans, ont été incendiés. La tension est palpable depuis plusieurs jours. Vendredi 28 juin, des dizaines de manifestations pro et anti-Morsi ont éclaté dans différents gouvernorats du pays, se soldant par 3 morts et des centaines de blessés.
« L’armée et le peuple une seule main »
La «grande muette» n’a rien dit…mais toute l’Egypte ne parle que d’elle. Dans son dernier discours, Mohamed Morsi a démenti toute inimitié entre lui et l’armée. Bluff ou réalité? Lors des manifestations anti-régime militaire (le Conseil suprême des Forces armées régissait le pays depuis la démission de Moubarak), fin 2011, les Frères musulmans n’avaient pas rallié les révolutionnaires, et beaucoup y avaient vu le signe de la solidarité des Frères avec le pouvoir.
Pourtant les rumeurs vont bon train: la crise de pénurie de fuel s’est aggravé ces derniers temps. Certes, ce pourrait être lié à l’achat massif de fuel en prévision des périodes de vacances, du Ramadan ou même d’instabilité dans la rue. Mais comme l’armée est la principale responsable de l’approvisionnement en fuel et essence, certains disent qu’elle a organisé la pénurie pour augmenter la colère du peuple contre le gouvernement et donc contre les Frères musulmans.
Parmi les anti-Morsi , les chants de « l’armée et le peuple, une seule main » qui faisaient florès pendant le soulèvement de janvier 2011, ont réapparu. Beaucoup de révolutionnaires de l’époque qui étaient par la suite contre le CSFA font la grimace et ont l’impression que si l’armée revient au pouvoir, ils auront sauvé leur révolution.
Sophie Anmuth ( du Caire)