Le président égyptien par intérim essaie de former son gouvernement. Non content de devoir faire face à l’opposition des Frères musulmans qui refusent leur défaite, il doit aussi se méfier de l’armée, et essayer de maintenir la cohésion de la coalition anti-Morsi, qui est on ne peut plus hétéroclite – tout cela sur fond d’explosions de violence.
Le président par intérim, le juge Adly Mansour, a d’abord été bloqué par l’opposition des salafistes de Nour (membres de la coalition anti-Morsi pourtant) qui s’opposaient à la nomination de Mohamed El Baradei, opposant de longue date à Moubarak et ancien directeur de l’Agence internationale pour l’énergie atomique, comme premier ministre. les nostalgiques de l’époque Moubarak, qui sont nombreux parmi les anti-Morsi, ne portent pas non plus Baradei dans leur coeur.
Les Frères musulmans n’acceptent pas leur défaite
Les jeux semblent faits: les anti-Morsi lancent des feux d’artifice depuis que l’armée a démis le président, l’armée pavoise (les avions militaires dessinent ces jours-ci des drapeaux ou des cœurs dans le ciel), la police aussi. La Constitution voté il y a quelques mois est suspendue, le dernier organe législatif qui restait, le Sénat (la Choura) a été dissous, on cherche à constituer un gouvernement de transition, bref, on repart à zéro.
Mais les partisans du président déchu ne l’entendent pas de cette oreille: ils manifestent toujours, en nombre impressionnant, pour que Morsi retrouve sa place. Ils ont déclaré être prêts à attendre des mois.
Est-ce une révolution ou un coup d’Etat?
Ces derniers temps les médias étrangers débattent à n’en plus finir sur la nature de l’événement. Les médias égyptiens, eux, peu connus pour leur impartialité, ont en général choisi leur camp: anti-Morsi, ils glorifient la révolution et soutiennent la « légitimité populaire », pro-Morsi, ils condamnent le « coup d’Etat » et soutiennent la « légitimité des urnes ».
Les médias étrangers n’ont certes jamais semblé particulièrement friands des islamistes, mais leur frilosité et leur méfiance vis-àvis de l’armée agacent ces jours-ci profondément les partisans de la disparition de Morsi de la scène politique. Des messages de ce genre sont diffusés, afin de faire comprendre aux étrangers bornés que oui, les Egyptiens ont fait exprès de se débarrasser de leur président élu, et que l’armée n’a fait qu’entériner une décision populaire.
Les communiquants des deux côtés bombardent les journalistes avec des communiqués clamant qu’il s’agit/ne s’agit pas d’un coup d’Etat, ou avec des informations détaillées sur les exactions commises par certains partisans de leurs opposants.
Une solution aurait été d’organiser un référendum sur le départ de Morsi : les pro et anti auraient ainsi évité d’estimer leur rapport de force en allant rouler des mécaniques dans la rue. Les anti disent que Morsi avait perdu toute légitimité devant l’agacement populaire à cause de ses tentatives d’autoritarisme, son incompétence, ses promesses non tenues, et la lenteur dans la mise en place des institution (un an après son élection, il n’y avait toujours pas eu de parlementaires), les pro disent que l’armée et le reste des institutions d’Etat ennemies des Frères viennent de saisir leur revanche, et cherchent leur intérêt, non la volonté du peuple.
Complotisme
La rue des deux côtés accuse les Etats-Unis de se montrer trop favorables aux Frères musulmans, et donc de soutenir « un groupe terroriste ». Beaucoup reprochent aux Frères musulmans de « peu se préoccuper de l’Egypte, et de s’intéresser plus à la possibilité d’un califat transnational – et peu importe donc s’il faut oublier les richesses pharaoniques de l’Egypte et vendre le canal de Suez ou le Sinaï », comme élaborait ce manifestant anti-Morsi sur la palce Tahrir. Ce sont bien évidemment des rumeurs, mais qui ont pesé lourd dans la balance contre les Frères. Les Etats-Unis, dans cette théorie complotiste, se réjouissent d’affaiblir l’Egypte, afin d’assurer la tranquillité de leur protégé Israël. Evidemment, de l’autre côté, on en a autant au service des Américains: « les Etats-Unis soutiennent l’armée qui renverse les Frères musulmans parce qu’ils n’aiment pas les islamistes, et ils n’appréciaient pas non plus qu’on tergiverse pour accepetr le FMI, et qu’on recherche notre autosuffisance alimentaire aux dépens de leurs exportations », disait ce manifestant pro-Morsi à Rabaa Adawiya à Nasr City.
Autoritarisme
La vraie question, plutôt que coup ou pas coup, plutôt que : Morsi était-il oui ou non légitime, est peut-être celle des libertés. Si les anti-Morsi ont en grande partie voulu déposer Morsi parce qu’il n’avait rien arrangé dans la crise économique et qu’il n’avait pas paru accorder d’importance à la position diplomatique de l’Egypte, ils mettaient aussi en accusation son obstination à ne pas faire participer l’opposition au gouvernement, et des signes inquiétants de volonté excessive de pouvoir : la déclaration constitutionnelle passée en force, les procès intentés aux activistes pour insulte à la personne du président, l’autorité législative confiée à un corps composé presque entièrement d’islamistes, l’absence de réaction face aux discours sectaires de certains alliés salafistes, le refus de faire participer au pouvoir tous les courants politiques, contrairement aux promesses faites lors de son élection. Pour finir, ils reprochaient au président de prendre ses ordres de l’organisation des Frères musulmans, réputée opaque et au culte d’obéissance presque fascisant.
Aujourd’hui pourtant, non seulement le président autrefois élu est déchu, mais encore est-il placé en résidence surveillé on ne sait où. Des cadres du parti des Frères musulmans, Justice et Liberté, et de l’organisation des Frères musulmans sont arrêtés. Leurs chaînes de télévision sont suspendues pour incitation à la violence. La répression contre les Frères musulmans rappelle l’époque de Moubarak – d’autant que la police, qui faisait plus ou moins grève depuis la révolution du 25 janvier 2011, a soutenu avec enthousiasme les manifestations anti-Morsi. Le président par intérim, Adli Mansour, a fait un noble discours de réconciliation nationale où il a indiqué ne souhaiter exclure personne, mais le ministre de la Défense a fait savoir aux Frères qu’ils n’étaient pas les bienvenus aux négociations pour la composition du gouvernement pour la période de transition. Et vendredi dernier, l’armée a tiré à balles réelles et a fait plusieurs morts parmi les pro-Morsi venus réclamer la libération de l’ex-président en s’approchant du club de la garde présidentielle…
Cependant, de petites lueurs d’espoir sont présentes : ainsi en quelques jours, des activistes qui étaient en détention provisoire pour leurs opinions politiques ont été relâchés (Douma et Moustafa).
Violence
Ce lundi 8 juillet, à l’aube, au moins quarante personnes, selon un responsable du ministère de la santé égyptien, sont morts sous les balles de l’armée. L’armée a tiré sur la foule de partisans du président déchu Mohamed Morsi qui s’étaient réunis devant le siège de la Garde républicaine au Caire. Ces dernières violences ont provoqué le retrait du parti salafiste Al-Nour des négociations politiques. Le parti a dénoncé un « massacre » des partisans des Frères musulmans.
Vendredi dernier, de petits groupes armés se présentant comme des partisans de Morsi et de l’application de la charia en Egypte ont tenté (en vain) de déloger les anti-Morsi de la place Tahrir, ou de prendre d’assaut Maspero, le bâtiment de la radio et télévision publiques. Bâtons mais aussi armes à feu ont fait des dégâts, tandis que les anti-Morsi répondaient avec des pierres. Depuis le début des tensions, c’est-à-dire quelques jours avant la date finale de la campagne de pétition Tamarod, fin juin, plus de quatre-vingt personnes ont été tuées et des centaines blessées, les dernières hier. Evidememnt, des deux côtés, on appelle à rester pacifiques. l’inquiétude est quand même présente, et beaucoup appellent au calme, comme l’a fait vendredi l’imam d’Al Azhar, ou comme le fait ce groupe de citoyens « Non à la violence« . Dimanche, les deux parties avaient appelé à de grosses manifestations -et la crise d’approvisionnement en carburant avait quelque peu repris.
Certains se demandent pourquoi l’armée et la police sont plus occupées à se réjouir ou à arrêter les leaders politiques, plutôt que d’intervenir pour arrêter les violences. Leur attentisme est clair dans cette vidéo de vendredi.