« Oui à la Constitution, disent les Egyptiens qui aiment leur pays. » Pour la campagne pro-oui organisée par le gouvernement de transition post-Frères musulmans mis en place par l’armée, il s’agit bien de faire appel aux émotions des électeurs, pas vraiment de leur demander de ratifier un texte qu’ils auraient lu, pesé et approuvé. Le Oui signifie oui à la stabilité, à l’armée, et non au terrorisme et aux Frères musulmans (ces derniers sont officiellement un groupe terroriste selon les autorités égyptiennes depuis décembre dernier).
Même si le taux de participation risque de ne pas être écrasant, le résultat du scrutin, lui, paraît joué d’avance : un oui massif, réminiscent de la tradition d’acquiescement aux référendums en Egypte.
Amour, gloire et beauté et le général Sissi
Il semble que tous ceux qui prennent la peine de se déplacer vont se prononcer en faveur du texte. Dans la rue, en ces deux jours de référendum, certains ont le triomphe peu modeste. Ils passent en voiture en klaxonnant bruyamment, en brandissant des drapeaux égyptiens et des posters de Sissi. En réponse, les femmes qui font la queue devant les bureaux de vote poussent des youyous. Le général égyptien Abdel Fattah al-Sissi est le ministre de la Défense et chef de l’armée qui a déchu l’ex-président islamiste Mohamed Morsi de ses fonctions, le 3 juillet dernier. Beaucoup pensent que, plus que le président provisoire Adly Mansour, il est le véritable dirigeant du pays, et qu’il pourrait avoir des ambitions présidentielles.
Il faut dire que Sissi passe pour être bel homme, de même que le porte-parole des forces armées, Ahmed Ali. Voilà peut-être pourquoi la couverture égyptienne médiatique du référendum nous montre tant de femmes en train d’applaudir, chanter, danser.
Dans le quartier d’Abdeen, au centre du Caire, des parents me montrent, à la porte d’un bureau de vote, leur petite fille d’une dizaine d’années, le sourire aux lèvres: « Elle est trop petite pour voter, mais elle aime Sissi. »
« La chute de Moubarak m’avait redonne confiance dans le pays. J’avais perdu espoir à nouveau sous Morsi. Mais aujourd’hui je vais dire oui, et je suis heureuse », dit cette enseignante de 35 ans, sur son trente-et-un, en manteau et vernis orange. « Sissi est un homme fort qui peut nous protéger des complots extérieurs et du terrorisme a l’intérieur. »
Du côté des hommes, c’est la même chose. Dans un quartier populaire du Caire, à Faysal, plus précisément à Saft-el-Laban, un homme d’âge mur, édenté, technicien de son métier, en sandales et jellaba bleue, prophétise:
« On est un peuple pharaonique. On ne peut pas avoir de démocratie. Il faut un homme fort pour nous diriger. Tout le monde dit oui à Sissi. »
Boycott politisé ou abstention chronique
Le boycott est la position officielle des Frères musulmans. Parce qu’ils refusent de reconnaître la légitimité du gouvernement de transition et son droit de présenter une nouvelle Constitution.
A Saft-el Laban, une femme en niqab avoue qu’elle n’ira pas voter.
« Je devrais dire oui, c’est ce que veulent l’armée et la police… On nous dit de voter oui pour faire barrage au terrorisme des Frères? beaucoup de membres de ma famille ou de mes voisins en sont, je les connais bien, je sais que ce ne sont pas des terroristes. »
Une autre femme en niqab vient, elle, approuver la Constitution: « Je l’ai lue, elle me convient. » Le parti salafiste le plus médiatisé, mais qui est sans doute en train de perdre sa base, Nour, soutient le texte.
Mais la Confrérie n’est pas la seule à appeler au rejet de la Constitution.
Il y a aussi une coalition de partis dits révolutionnaires, le Front du chemin de la Révolution, qui regroupe des mouvements comme le 6 Avril ou Masr al Qawia,à la fois anti-Frères musulmans et opposés à la répression des opposants depuis juillet et hostiles à l’idée d’un régime militaire, même si ses soutiens n’ont pas vraiment fait campagne dans la rue. Les forces de l’ordre peuvent facilement trouver une bonne raison de les arrêter, en disant que soutenir le boycott équivaut à soutenir les Frères musulmans, autrement dit à soutenir le terrorisme.
« Je n’irai pas voter », dit cette coordinatrice d’une galerie à Zamalek, un quartier chic du Caire. « Je suis libérale, contre les islamistes, mais je suis aussi contre les circonstances de l’organisation de ce scrutin. Et même s’il y a de bonnes choses dans cette Constitution, protection de certaines libertés, ils peuvent écrire ce qu’ils veulent, la question est: sera-ce appliqué? je ne crois pas, il n’y a qu’à voir ce qui se passe en ce moment. Tout le monde suit Sissi, un homme providentiel. Moi j’abandonne. »
L’abstention est assez habituelle dans les élections en Egypte, même depuis le soulèvement de début 2011 qui a renversé l’ex-président Hosni Moubarak. A peine plus de 30% de participation pour le référendum sur la Constitution proposée par un comité formé par un Parlement à majorité islamique fin 2012, et même pour le premier vote censé être « libre », en mars 2011, sur les amendements constitutionnels, elle était d’à peine plus de 40%, et pour le deuxième tour de la présidentielle de 2012, elle était de moins de 50%.