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Hamza Namira, le chanteur des espoirs déçus des jeunes Egyptiens, interdit d’antenne

« Ecoute-moi! Nous en avons assez de nous taire. Tu es celui qui me ramènes en arrière dans le passé et tu veux m’y emprisonner. Tu as détruit mes rêves lorsque tu t’en es emparé » , reproche le chanteur égyptien Hamza Namira.
Son dernier album, « Ecoute-moi », exprime « les espoirs déçus de toute sa génération ». Si c’est en ces termes élogieux qu’un homme politique et éditorialiste d’oppposition, Mostafa al-Nagar, félicite le chanteur – qui prudemment n’est pas ces jours-ci dans sa mère patrie – les autorités égyptiennes, elles, ont ordonné aux radios et télévisions du pays de ne pas diffuser le trublion.

L’homme politique ami de l’artiste trouve dans ses paroles le sarcasme, la peine et les frustrations de toute une génération. Né en 1980, le chanteur a connu son premier succès peu de temps avant le soulèvement de 2011, et est devenu très populaire avec des titres comme « Humain » (Insan) ou « La place » (Midan) ou des chansons pro-palestiniennes.

Une génération

« Tu me traites comme si moi et toute ma génération n’étions que des enfants. Tu es celui qui me fait tout perdre, qui me ramène en arrière. Nous avons vécu tant de moments difficiles et tu veux en plus nous humilier. Alors, que nous reste-t-il? »

Mais de quelle génération le chanteur parle-t-il: où sont ces millions de jeunes mécontents, dans un pays de plus de 80 millions d’habitants, où presque deux tiers ont moins de 30 ans?

Le maréchal Abdel Fattah el Sissi, le président égyptien, a bel et bien été élu avec une écrasante majorité des suffrages, et l’opposition dans la rue ou dans les médias paraît quasi inexistante.

Le président, alors ministre de la Défense, a « sauvé » l’Egypte des Frères musulmans à l’été 2013 (arrivés au pouvoir, aussi bien au Parlement qu’au siège présidentiel, par des élections en 2011 et 2012), et continue à la protéger de la (commode) menace terroriste intérieure.

Mais il y a bien une génération que même le gouvernement a reconnu s’être en partie aliénée, en constatant l’absence massive des jeunes au scrutin de l’élection présidentielle et en décidant d’installer un dispositif sécuritaire impressionnant dans les universités du pays

Comme le dit la chanson, c’est la génération qui a dit « Non ».
Ils ont dit non de manière certes très spectaculaire et romantique (révolution, manifestations, confrontations avec les forces de l’ordre, emprisonnements) mais aussi très générationnelle. La place Tahrir en 2011 rassemblait tous les âges, mais le refus du passé et de l’autorité avait aussi une allure de conflit générationnel. L’autorité incontestable du père ou du leader militaire semblait avoir fait son temps.

Un chanteur qui jette de l’huile sur le feu?

Dorénavant ils ne sont plus que quelques dizaines ou centaines d’activistes à continuer à manifester – et à se faire arrêter. Les avocats bénévoles spécialisés en droits de l’homme qui passent leur temps (parfois des mois, et les peines prononcées sont souvent de plusieurs années) à les extraire de prison sont partagés entre l’enthousiasme et une secrète lassitude devant tant de don quichotterie.

« Les manifestations aujourd’hui ne récoltent plus de soutien populaire », se plaint une jeune cairote qui a rendu son tablier politique, après des années d’investissement. « La seule chose que cela peut changer, si je descends protester dans la rue, c’est que je risque de me faire arrêter, pas de faire changer quelqu’un d’avis. Il n’y a que les avocats qui puissent encore faire quelque chose aujourd’hui. Dans vingt ans peut-être il y aura une nouvelle vague. Là, l’espace politique est verrouillé. »

Un jeune journaliste travaillant pour une chaîne de télévision privée mais pro-gouvernementale explique que « même si l’on veut être professionnel, il n’y a pas d’espace pour cela. Les hommes d’affaires propriétaires des médias veulent être bien avec le pouvoir. La presse fait les mêmes titres tous les jours. Si l’on veut parler de vrais problèmes, on nous dit que « ce n’est pas le moment. » A cause du terrorisme. Pour l’unité du pays ».

« Ca suffit, nous le disons haut et fort: Non, et ce sera notre moment de gloire », affirme pourtant Hamza Namira, confiant dans l’avenir et les ressources des opposants. C’est de manière assez peu voilée qu’il appelle à la rébellion.
Fait-il référence aux jeunes gauchistes passionnés par l’attaque des moulins à vent? Ou à l’autre type d’opposition au régime, les Frères musulmans et leurs sympathisants? Ils continuent toujours leurs manifestations hebdomadaires « anti-coup militaire » du vendredi, avec une moyenne de deux ou trois morts assez régulièrement.

Un avocat plaisantait récemment : « Nous, les gauchistes, ils nous emprisonnent, mais c’est déjà bien: les islamistes, ils les tuent. »

Dans un autre titre, « Ne pleure pas« , le chanteur se met dans la peau d’un père qui parle à son enfant, ou d’un homme de cette génération qui s’adresse à la génération future : « Le froid s’est abattu sur nos rues mais le feu brûle en nous, et les soleils de tes compagnons naîtront de la colère de la pauvreté. Si l’on me jette derrière de hauts murs, les chaînes ne vaincront pas les idées ».
La même chanson enjoint l’enfant de ne pas oublier le « rendez-vous de l’aube ». Il peut s’agir d’une métaphore pour le renouveau ou le courage de sortir de son lit quand on est déprimé, mais il peut s’agir plus simplement d’une allusion à la prière de l’aube/du fajr ou fagr, souvent considérée comme typique des croyants très pratiquants. Une autre chanson incite l’opprimé à croire que l’oppresseur ne pourra pas échapper à la rétribution, car tout repose dans la main de Dieu. De telles références religieuses sont naturelles en Egypte. Il n’en reste pas moins que les paroles laissent planer le doute sur les sympathies du chanteur.

Toutes les chansons de l’album ne sont pas directement politiques: l’une d’elles critique de manière très pittoresque la folie qui s’empare de quiconque tente de conduire dans les rues embouteillées du Caire.


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