Alors que les manifestations pro-Frères musulmans s’étiolent, le discours officiel égyptien et une partie de la rue sont toujours sur le pied de guerre pour combattre le « terrorisme ». Les opinions divergent radicalement au sein des familles, fratries – dans la rue, on s’explique souvent à coups de bâton. La violence se coule dans le quotidien – un attentat de plus dans le Sinaï, une fusillade en pleine ville, un incendie en province – mais la vie suit son cours. A quelques centaines de mètres d’affrontements on discute comme si de rien n’était, des hélicoptères militaires vrombissent et l’on est terré chez soi avec le couvre-feu, et puis.. et puis rien, on s’habitue à tout.
Ce vendredi devait être une manifestation de force des « opposants au coup d’Etat militaire » du 3 juillet qui a déposé le président Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans, mais les nombres dans la rue n’ont pas été aussi conséquents qu’annoncés. Les Frères musulmans, privés de leurs cadres, arrêtés par la police au cours des semaines passées, ont eu du mal à mobiliser. Le mercredi précédent, une fusillade étrange avait éclaté à la suite d’une manifestation pro-Frères dans un quartier du Caire (Mohandessin). Des snipers avaient parait-il attaqué les forces de sécurité, qui, plus tard, et dans une réponse plutôt désorganisée, avaient arrêté au hasard plusieurs personnes. L’une d’entre elles s’est avérée être un membre actif de la campagne Tamarod qui a contribué au renversement de Morsi… L’activiste a été libéré sur-le-champ, histoire d’éviter trop de monde dans la rue – pour le moment, les anti-régime policier et anti – arrestations arbitraires ont quelques réticences à aller manifester aux côtés des pro-Frères.
Déjà, le couvre-feu agace et fait murmurer « à bas l’armée »… Laquelle n’est pas sotte, et a donc à nouveau retardé l’heure du couvre-feu, à 11h du soir cette fois.
Huit morts ont apparemment été faits à la fois parmi les forces de sécurité, et parmi les manifestants. Aucun décompte précis ‘a encore été donné. Le ministre de l’Intérieur, prenant prétexte de l’événement du jeudi, avait prévenu que la police était autorisée à tirer à balles réelles. 230 nouvelles personnes ont été arrêtées vendredi, d’après le ministre de l’Intérieur. Les arrestations de cadres des Frères musulmans se poursuivent tous les jours.
L’Egypte fait le gros dos en attendant que ça passe. A certaines fenêtres ce vendredi au Caire, devant les manifestations « anti-coup » ou « des terroristes » comme on dit dans chacun des deux camps, les visages d’un couple ou d’une fratrie exprimaient souvent des sentiments opposés, l’un complètement pour, l’autre complètement contre. Il est difficile de résister à une machine de propagande bien ficelée.
Un éditorialiste égyptien écrivait récemment:
« J’étais à l’oraison funèbre de l’un de mes voisins. Un Frère musulman tué à Raba [le 14 août]. J’échange quelques mots avec la famille du défunt [...] son oncle dit « Qu’importe si un demi-million ou un million d’entre eux est tué si le pays en est ensuite débarrassé. » Un instant j’ai du mal à comprendre ce dont il parle…[...] Mais le père lui-même hoche de la tête pour marquer son approbation. L’oncle reprend : « j’étais officier dans l’armée. Je le dis, tuer quiconque essaie de diviser l’armée égyptienne est un devoir patriotique. » Je leur fis un faible sourire forcé, et le frère du défunt essaya de détendre l’atmosphère en disant : « Il y a parmi eux des gens respectables comme Ahmed, on s’est moqué d’eux, mais le reste, ils ne méritent que d’être brûlés. »